Les Matières



Les Matières

Aux problèmes posés par la composition d'un tableau, la perspective, l'anatomie, les proportions, les valeurs et les couleurs, vient s'ajouter un autre non moins passionnant: celui des matières.

Les matières se voient.

Elles sont donc traduisibles sans qu'il soit nécessaire de recouvrir à l'interprétation. Leur diversité est infinie; chaque chose a sa matière propre au même titre que la couleur et la valeur. De la matière la plus lisse et la plus transparente, à la matière la plus rugueuse et la plus opaque, il existe une multitude de matières différentes qu'une observation attentive permet de déceler.

 

Les matières comme les couleurs sont également assujetties aux lois de la lumière.

Ainsi donc, elles seront noyées dans l'ombre et absorbées par la lumière, et s'épanouiront au contraire dans la demi-teinte, entre l'ombre et la lumière, zone dans laquelle se trouve localisée également la couleur. L'observation des jeux d'ombre et de la lumière nous révèle ainsi combien la nature use avec parcimonie des couleurs et des matières, ce qui constitue un précieux enseignement pour les peintres soucieux d'harmonie.
Cette zone appelée demi-teinte, dans laquelle cohabitent harmonieusement le ton local et la matière propre du modèle s'étend d'une façon fort variable selon l'intensité de la lumière. D'autant plus restreinte que l'éclairage sera violent, la demi-teinte s'imposera davantage avec un éclairage plus doux, par temps gris par exemple.

Si l'ombre est plus ou moins froide et foncée,

elle est également transparente. Si la lumière est plus ou moins chaude et claire, elle est également opaque. Il ne suffira donc pas de résoudre uniquement le problème de l'ombre en fonction de sa valeur et de sa couleur; encore faudra-t-il songer à la transposition de cette réalité évidente qu'est la transparence, seule capable de donner à l'ombre toute sa profondeur et son mystère. En utilisant les glacis pour les ombres, en peinture, nous obtiendrons du même coup une matière différente des empâtements plus ou moins denses des lumières. Indépendamment de l'utilisation de la perspective, des valeurs, claires ou foncées et des couleurs, chaudes ou froides, les matières accuseront encore davantage le relief en situant les différents éléments du tableau, tels qu'ils se présentent à nos yeux dans l'espace. L'illusion de la profondeur apparaîtra alors sur le tableau.
Il est évident que l'ombre ne saurait se présenter sur le même plan que la lumière lorsqu'on observe la nature avec les yeux de tout le monde.
Si les couleurs donnent de la vie aux valeurs, les matières vivifient à leur tour le couleurs. Elles demeurent du domaine de la peinture dite de chevalet, la peinture décorative s'accommodent mieux des «à-plats»; notamment la grande décoration murale. Les matières, en effet, ne s'imposent guère sur les grands formats qui demandent à être vus d'une certaine distance; n'étant, alors, plus guère discernables; elles perdent ainsi leur raison d'être.

La couleur peut s'accrocher à la toile de mille façons différentes

et c'est ainsi que naissent les matières. En maniant la peinture, en pleine pâte, en demi-pâte ou en glacis, on peut obtenir autant de matières différentes. Plus la sensibilité du peintre est grande et plus grandes seront ses chances de réussite, car on peut déceler autant de sensibilité dans les recherches de matières que dans le dessin ou les couleurs. L'apport des matières contribuera puissamment à l'articulation harmonieuse de tout ce qui constitue la science du tableau et élargira considérablement le champ d'action du peintre en conférant à son oeuvre une plus grande présence.
Le résultat étant seul à considérer, nous ne devons pas dédaigner en certains cas l'emploi de moyens autre que le pinceau ou la brosse traditionnels, pour l'application de la peinture. Le pouce est susceptible de réussir parfois là ou le pinceau a échoué et puis nous pouvons utiliser encore les chiffons, les papiers et cartons, que sais-je encore! Bref, tout un arsenal d'instruments de travail dont l'emploi nous permet d'obtenir des matières remarquables devant lesquelles le pinceau le plus habile serait bien obligé de s'incliner. Il est certain que les grands peintres du passé ont réalisé d'authentiques chefs-d'oeuvre, armés seulement de pinceaux. Il est bien entendu que de nos jours il demeure toujours possible de réussir de la sorte, mais nous aurions cependant grand tort de mépriser systématiquement toutes les audaces des modernes dont certaines méritent assurément d'être prises en considération.

Sans aller jusqu'à introduire dans le tableau des matériaux étrangers à la peinture,

sable, étoffe, glace, papiers imprimés, papiers collés, papiers peints, plâtre, etc. il demeure possible d'obtenir simplement avec le matériau qu'est la peinture une très grande variété de matières.
Par exemple, si on appuie sur le pinceau, la peinture s'écrase inévitablement en bouchant tous les pores de la feuille de papier ou de la toile. Par contre, si on se contente de laisser traîner légèrement le pinceau, la couleur ne s'incrustera pas en profondeur mais de fixera seulement sur les aspérités du grain plus ou moins fort du papier ou de la toile. L'aspect de la peinture se transforme alors et devient rugueux. Il est évidemment possible de superposer les couleurs, ce qui augmentera encore la rugosité de la peinture. Les couleurs superposées peuvent être différentes; judicieusement choisies, elles peuvent ainsi donner à la peinture, une matière assurément plus dense, plus séduisante et plus riche que celle obtenue par les teintes plates. Cette multitude de couleurs rassemblées sur la même tâche lui fera perdre par contre de sa franchise de ton, ce qui permet de comprendre pourquoi certains peintres, notamment les décorateurs, très épis des couleurs franches et vives, se désintéressent des matières.

Il convient bien sûr d'éliminer toutes les vaines recherches

et de procéder en toutes choses avec méthode, malgré parfois certaines apparences trompeuses. Il est certain que le but doit être atteint le plus rapidement possible et avec le plus de chances possibles de succès. Indiscutablement, la méthode qui consiste à disposer des couleurs d'une façon mécanique au hasard de l'inspiration est de beaucoup la plus agréable de toutes, et la plus facile aussi, mais le résultat n'est pas toujours convaincant. Tant que le fond blanc sert de lien entre différentes couleurs, l'effet, peut être plaisant mais il en est tout autrement lorsque le fond a disparu et que les couleurs sont soudées les unes aux autres. L'accord entre ces dernières est loin d'être toujours heureux et le problème de leur harmonie alors est à reprendre entièrement avec le handicap de couleurs devenues gênantes.

La règle des anciens «Peindre gras sur maigre» garde toujours sa valeur de principe, néanmoins les couleurs disposées inconsidérément sans la moindre recherche les unes sur les autres ne produiront pas le miracle peut-être escompté. Le hasard ne peut donner que des déceptions en pareil cas. Là aussi, l'intervention de l'intelligence, de l'habilité et du bon goût ne sont certes pas négligeables.

Il est à remarquer qu'en revenant d'abord avec des couleurs assez vives sur un fond sombre, puis en superposant des couleurs de plus en plus claires allant parfois jusqu'au blanc pur, on arrive plus facilement à l'harmonie. Il n'est pas moins vrai que sur un fond relativement dense de peinture blanche ou très claire de valeur, nous pouvons également espérer de grandes satisfactions en laissant traîner des couleurs plus foncées.

Point n'est besoin, toujours, d'attendre que les couleurs du dessous soient parfaitement sèches pour appliquer celles du dessus. Dans de nombreux cas, en effet, nous obtiendront des résultats parfois imprévisibles mais presque toujours heureux, les couleurs se liant avec une plus grande souplesse d'exécution.

En ce qui concerne les transparences,

il est évident qu'elles ne peuvent être obtenues que par la lumière des fonds préparés ou réservés à cette intention. La couleur peut être employée pure ou broyée avec d'autres couleurs. Si l'aquarelle exige beaucoup d'eau par contre pour la peinture à l'huile, il conviendra d'employer modérément les liquides, huile, essence au vernis. L'emploi du blanc est à proscrire car il rend les couleurs opaques. Seule la clarté des fonds rendra les couleurs lumineuses tout en lui conservant sa transparence. Des superpositions de couleurs différentes et transparentes, peuvent résulter des couleurs plus rares, du plus heureux effet. Un trop grand nombre de superpositions risque cependant de faire perdre le bénéfice de la transparence. D'autre part, une telle technique exige naturellement de la part du peintre une certaine habilité, le pinceau ne pouvant pas passer plusieurs fois au même endroit sans risquer de voir les couleurs se mélanger. Le même travail ne présente par contre aucune difficulté quand il s'agit de la peinture à l'huile, pourvu que les couleurs du fond aient eu le temps de sécher convenablement, ce qui suppose de la part du peintre parfois beaucoup de patience.

Les superpositions de couleurs opaques,

en pleine pâte peuvent également donner d'excellents résultats, aussi bien pour la peinture à l'eau (gouache) que pour la peinture à l'huile. Il se produit alors une vibration plus intense de couleurs et de matières qui rend la peinture moins superficielle d'aspect et lui insuffle une vie intérieure. Il va de soi que la dernière couleur ne devra pas être couvrante au point d'étouffer les couleurs des couches inférieures, car le rôle de celles-ci est de la faire valoir. Il conviendra au contraire de donner à chacune de couleurs le soin de préparer le lieu sur lequel la couleur choisie par le peintre s'épanouira avec plus de force. Le peintre soucieux d'éviter les couleurs trop vulgaires accordera donc un soin tout particulier à la préparation du fond destiné à recevoir la couleur. De toute évidence un bleu disposé sur un brun aura une toute autre résonance que s'il se détache sur un fond blanc.

Les crayons et les fusains

peuvent eux aussi nous offrir une gamme de matières extrêmement étendue.
Il est exact de dire que le dessin linéaire se suffit à lui-même, qu'il demeure toujours valable «habillé» de valeurs, mais si nous voulons absolument réaliser un dessin en valeurs c'est parce que la ligne aussi pure, soit-elle, n'est pas en mesure de nous donner tout ce que nous désirons obtenir, que nous tenons sans doute à une image plus conforme au modèle tel qu'il se présente à nos yeux ... mais alors pourquoi ne pas songer aux matières si réellement nous voulons une étude aussi complète que possible, car si l'art peut se contenter souvent d'un simple dessin linéaire, à peine esquissé, certains dessins documentaires et scientifiques se doivent d'aller plus loin, dans le sens de l'observation et de la précision. Dans ce domaine, il ne peut être question que du métier, de celui qui peut être appris en partie à l'école, du métier de tout le monde et non pas de celui qu'il conviendra de tenter de découvrir pour son propre usage à des fins artistiques.

Pour l'instant, il s'agit de réaliser des dessins au crayon et au fusain. Si l'on se contente de laisser traîner le crayon ou le fusain sur la feuille de papier, la matière obtenue est la même partout. Il ne peut être question cependant de s'en tenir à cela, si on se propose de donner à la lumière et à l'ombre leur matière propre. Celle de l'ombre ne sera jamais trop profonde, trop transparente; l'ombre en fin de compte devra donner l'impression de se trouver au second plan par rapport à la lumière. Pour obtenir davantage l'illusion de la profondeur, la solution n'est pas ailleurs que dans la matière, seule susceptible de situer l'ombre à son plan.

Différents procédés permettent de donner l'illusion d'une profondeur plus ou moins considérable, selon qu'on se sert du doigt, d'un morceau d'étoffe, d'un pinceau, d'une brosse ou d'une gomme. La difficulté majeure dans leur emploi réside dans une certaine mollesse d'exécution qu'il convient d'éviter. Il va de soi que seules les zones d'ombre seront étudiées de la sorte.

Utiliser le pinceau ou la gomme dans les zones lumineuses serait une grave erreur qui donnerait infailliblement de la mollesse au dessin et enlèverait tout sens aux recherches entreprises dans l'ombre. Il demeure possible de revenir au crayon sinon sur la totalité du moins dans certaines parties de l'ombre, notamment pour préciser certains détails, qui ne sauraient être entièrement sacrifiés pas plus dans l'ombre que dans la lumière.


Aucune loi ne nous interdit, bien sûr, l'usage des doigts pour obtenir des matières à condition naturellement de faire preuve de beaucoup de doigté! Il convient de reconnaître qu'il est bien dangereux de s'en servir, mais ce n'est pas là une raison valable pour s'en désintéresser, d'autant plus que nous pouvons obtenir avec les doigts certaines matières difficilement réalisables autrement.

La gomme ne sert pas toujours à effacer, elle sert parfois à construire. Convenablement taillée en biseau, elle sert non seulement à éliminer certaines maladresses ou certaines constructions devenues gênantes, mais encore à obtenir au besoin des ombres d'un noir intense et d'une grande profondeur. La gomme conviendra particulièrement pour les dessins de petites dimensions et notamment la plupart des études documentaires.

Ainsi donc pour l'étude de matériaux,

aussi différents que sont le plâtre, le bois, le verre, le bronze, la pierre, il conviendra de se servir tantôt du pinceau ou de la brosse, tantôt des doigts, tantôt d'un morceau d'étoffe et en certains cas de la gomme. Il est bien évident que l'étude d'une tête de plâtre ne saurait être traduite de la même façon que celle d'un modèle vivant.

Il ne faudrait cependant pas sous-estimer les possibilités du crayon dans la traduction directe des matières. Dans la plupart des cas, il ne peut être question de réaliser de belles hachures régulières mais conventionnelles et parfaitement insensibles comme celles que nous pouvons relever sur les projets d'architecture, par exemple. En se servant du plat de la mine d'un crayon, à condition bien sûr que cette mine soit suffisamment dégagée et en tenant son crayon non comme un porte-plume, mais plutôt comme un pinceau, il sera possible de se rapprocher considérablement du modèle quel qu'il soit, qu'il s'agisse d'une pierre ravinée ou de l'écorce tourmentée d'un arbre. Encore faudra-t-il prendre conscience de la réalité des matières et exiger du crayon tout ce qu'il peut nous donner dans ce domaine immensément riche des contrastes.


Tout n'est que contrastes dans la nature qui nous montre ainsi la voie à suivre pour tendre vers la beauté. Quelle leçon pour un peintre de pouvoir assister aux merveilleux contrastes des jours et des nuits, des lumières et des ombres, des féeries de couleurs éclatantes et de la sobre distinction des grisailles, des lumineuses transparences du ciel et de la mer et de la, sauvage âpreté du rivage rocheux. Voilà ce qui nous est offert à condition bien sûr de n'être pas atteint par cette cécité inconsciente dont sont victimes tous ceux qui ne savent pas voir. A ceux-là, il n'est point d'autre remède que d'apprendre à voir. Alors seulement, ils découvriront le monde!

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